• 2.— Ce matin bien qu'il pleuve mon lieutenant et moi décidons d'aller déjeuner au Cercle militaire, nous partons donc pour Salonique. Je crois qu'il n'y a pas au monde d'autre ville qui puisse rivaliser avec celle-là pour la boue et l'eau. Dieu sait si sur certains points du front français j'ai pataugé, mais cela n'est rien auprès de ce qui existe ici. Les rues sont de véritables rivières, nul piéton ne s'y risque ; seules les voitures et les autos y circulent en enfonçant jusqu'aux moyeux. Les gens eux utilisent les trottoirs défoncés, en certains points il faut faire des exercices d'équilibre sur des planches ou des pierres. Quand il n'y a pas de trottoirs on marche dans l'eau jusqu'à mi jambe, combien sont précieuses les bottes en caoutchouc cédées par l'Intendance. Et pourtant dans ces rues circule une foule dense et tout ce qu'il y a de plus cosmopolite. En plus des soldats alliés il y a des gens de toutes les races. Quelle diversité de costumes, cela doit avoir un certain cachet par beau temps, malheureusement c'est sous la pluie que je parcours les rues jusqu'au Cercle. Je ne sais si cela tient à ces deux jours de misère mais le menu est excellent. Nos estomacs satisfaits nous reprenons le chemin du camp, mais pour nous éviter de patauger à nouveau nous demandons au conducteur d'un camion anglais qui va dans cette direction de nous charger. Le fils d'Albion le fait de très bonne grâce et nous dépose à proximité de nos châteaux de toile. Nous achevons la journée en améliorant notre installation.


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  • 3.— Grâce à nos travaux d'hier nous avons passé une bonne nuit ; c'est notre cuisinier qui nous réveille en nous apportant du café bien chaud. La pluie a cessé, la journée s'annonce merveilleuse, un beau soleil brille, cela procurera un bien énorme à tout le monde. Malheureusement vers 14 heures la pluie se remet à tomber, c'est au son d'un véritable tambour (la pluie sur la toile de tente tendue) que nous nous étendons sur un lit de foin, nos cantines et nos lits pliants n'étant pas encore arrivés.


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  • 5.— L'Alantego arrive portant mon matériel ainsi que le reste de mes hommes et de mes chevaux. Ces derniers sont débarqués l'après-midi, le matériel l'est au cours de la nuit.

    Dès lors la batterie est au complet. Nous resterons encore quelques jours à Zeitenlick. En dehors du service j'emploierai mes loisirs à étudier Salonique car le temps s'est mis au beau et les impressions peuvent changer avec le soleil.

    Salonique est bâtie en amphithéâtre sur le versant d'une colline au fond du golfe qui porte son nom. C'est une ville qui en 1913 comptait 15.700 habitants. Entourée de vieux murs byzantins, il y a une ancienne citadelle sur le sommet de la colline. La ville possède deux faubourgs dont un ancien au sud-est présente un certain nombre de belles villas au bord de la mer. Le quartier turc avec ses rues étroites, mal pavées, est en haut de la ville. La ville basse est habitée par les Juifs, c'est dans cette partie de la ville le long du quai que se trouve le quartier des affaires avec les boutiques. Le quartier grec est au sud-est la partie la plus ancienne de la ville.

    Il y a quelques églises bien construites, des mosquées, des synagogues et des bâtiments modernes, mais les maisons anciennes sont de frêles constructions de boies revêtues de chaux ou de boue et l'organisation sanitaire de la ville est très défectueuse. Le climat n'est pas bon. Les marécages avoisinants donnent naissance à des nuées de moustiques (anophèles) véhicules de paludisme.

    Salonique est une Babel de races, de langages.

    La baie de Salonique est nettement délimitée par la pointe de Kara Bouroum à l'est et la saillie formée par le delta du Vardar à l'ouest. La distance entre les deux pointes est de 6 kilomètres. Devant la ville les fonds qui ont de 15 à 16 mètres offrent un bon mouillage mais ils sont exposés aux vents du sud-ouest. Malgré la construction d'un quai long de 1800 mètres les navires ne pouvaient accoster et tous les transbordements se faisaient en rade. Un brise lames, un second quai de 400 mètres en avant et attenant à l'ancien, deux môles perpendiculaires au quai ont été construits et ont transformé Salonique en un véritable port.

    Les rues de la ville sont très pittoresques. Très larges en certains endroits elles se resserrent brusquement à d'autres et toute la partie resserrée est couverte. C'est là que se trouvent les magasins, les bazars ; pour la plupart se sont de petites boutiques étroites où les marchandises sont entassées. Il y a pourtant certains magasins qui singent les grands magasins de nouveautés en particulier et qui présentent bien. Ce qui abonde surtout et ce que l'on trouve à tous les coins de rues ce sont des marchands de pays qui vendent toutes sortes de produits et qui font en permanence frire des poissons dans une sorte d'huile dont les fumées vous prennent à la gorge ; c'est une infection, la ville est pleine de cette odeur. Et pourtant la foule circule sans paraître incommodée. Il est vrai que tous les gens de pays se plaisent à consommer tous ses produits extraordinaires. Quels drôles de gens sont ces Saloniciens. Ils paraissent et sont en réalité très sales. Les hommes ont des culottes au fond desquelles il semble qu'ils ont fait quelque chose ; les femmes sont vilaines et portent leurs cheveux en nattes dans le dos, elles ont un accoutrement bizarre, une chemise sur une sorte de pantalon bouffant, un manteau généralement bordé de fourrure recouvre leur dos, leur ventre est énorme même celui des jeunes, bref elles ne paraissent pas faites pour... l'maour. Ce dernier article est vendu par des hétaïres que l'on rencontre dans les rues vêtues de façon tapageuse, les yeux et les lèvres faits ; il doit y avoir du pôle et du tropique, malheur je crois à celui qui y touche.

    A la disposition des jeunes de Salonique, il y a le soir certaines réjouissances d'un goût assez douteux, ce sont des caf'cons, véritables bouges où tous les vices et toutes les passions se doeent libre cours.

    L'industrie du cinéma y est très prospère.

    Il y a une autre industrie non moins prospère à Salonique, c'est celle du "loustro" ou cireur de bottes. Le métier est en général tenu par des gamins de tous âges qui assis devant leur étal attirent l'attention en battant le rappel avec leurs brosses sur leurs boîtes. Leur nombre est innombrable et l'on m'a affirmé que tous faisaient des affaires au motif que certaines boîtes sont vendues très cher par leur propriétaire.

    Vers la fin de mon séjour au camp il m'a été donné d'assister aux réjouissances d'un mariage. Dans un village touchant le camp, toutes les femmes du pays avaient revêtu leurs plus beaux costumes : jupes de couleurs voyantes, bas blancs, bijoux hétéroclites, paletots doublés de fourrure, dont les pans relevés étaient maintenus par des rubans, nattes de cheveux nouées par des rubans rouges. Les hommes avaient le costume national. Une musique composée de deux sortes de hautbois et d'une grosse caisse se fait soudain entendre et les hommes se tenant par la main avec les femmes forment une chaîne, conduite par le fiancé, qui en exécutant un pas de danse se rend chez l'épousée. Cette dernière attend sur la porte de sa maison, elle est recouverte d'un voile blanc et tout comme une mariée de chez nous, couronnée d'oranger. Plusieurs danses sont exécutées, puis le mariage civil est célébré devant la maison même. Après cette cérémonie la mariée baise la main des assistants et reçoit de chacun d'eux une pièce de monnaie. J'ignore comment est célébré le mariage religieux ; quant au reste je ne sais pas quelles conditions cela s'opère, au son de la musique peut-être, car la noce disparut à l'intérieur de la maison et les portes se fermèrent. Drôles de mœurs, drôles de coutumes.


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  • 12.— Mon groupe reçoit l'ordre de se diriger sur Florina où il devra être rendu le 22 février.


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  • 13.— Préparatifs de départ. Les derniers jours passé à Zeitenlick ont été froids, il semble que l'Orient ne veuille pas rester étranger à ce qui se passe en France où sévit d'après les nouvelles un hiver des plus rigoureux.


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