• 28. Après avoir passé une nuit au camp nous recevons l'ordre d'embarquer à 9 heures à bord du transport italien Regina Elena. C'est un très beau bateau, on peut même dire luxueux. Avant la guerre il faisait le service entre Gênes et Buenos Ayres [sic]. Je m'installe dans une cabine de pont dans laquelle je trouve tout le confort désirable. A midi je prends mon premier repas à bord dans une très jolie salle à manger, le service est parfait.

    Le bateau appareille à 15 heures. Lentement il se dirige vers la passe qui ferme l'entrée de la rade. Les équipages des navires qui sont dans le port sont à la bande, les gens venus sur les quais nous saluent de leurs vivats, nous répondons par de formidables hourras. A 16h30 nous prenons la pleine mer. Quelques moutons couronnent la crête des vagues, il y a un peu de houle, aussi un certain nombre de cœurs par trop sensibles commencent à chavirer. Terrible ce mal de mer !

    Des instructions sont données pour que tout le monde prenne et ne quitte plus sa ceinture de sauvetage. La répartition des canots et des radeaux est faite afin que tout le monde sache où il doit passer au cas de torpillage, on procède ensuite à la répétition du "poste d'abandon".

    Les filets qui protègenr le port sont franchis et deux contre-torpilleurs nous escortent et ne nous quitteront plus de toute la route. Nous naviguons en pleines ténèbres.

    Après le dîner causette sur le pont en contemplant les éclairs d'un orage qui a éclaté au loin, puis je rentre dans ma cabine pour goûter le plaisir d'une première nuit sur mer.


    votre commentaire
  • 29.— La nuit a été assez bonne, bien que le tangage m'ait réveillé plusieurs fois, car la mer s'est faite de plus en plus mauvaise. Le voyage se poursuit par grosse mer, de nombreux grains suivis de coups de soleil donnent naussance à des arcs en ciel merveilleux qui se succèdent durant toute la journée. Les vagues sont énormes, il y en a de bien jolies avec leurs crêtes irisées. Pendant que nous les contemplons accourés au bastingage nous apercevons des épaves à une centaine de mètres du bateau ; ce sont trois radeaux et un canot, vides naturellement, restes de la tragédie de quelque torpillage, peut-être celui de l'Amiral Magon dont nous avons eu connaissance il y a deux jours. C'est que nous sommes dans la région de Navarin, mauvais parages où pullulent les sous-marins. Le temps nous favorise car la grosse mer ne va pas aux pirates.

    Ce matin mon estomac s'est trouvé dégoûté à la vue d'un camarage qui suivant l'expression "donnait à manger aux poissons", aussi je me suis abstenu de déjeûner par crainte d'etre obligé de faire la même corvée. J'ai fort bien fait du reste car ce soir je n'éprouve aucun malaise aussi vais-je dîner de bon appétit. Je me suis endormi très tard, à minuit passé, car il y avait un roulis épouvantable au moment où nous avons doublé le cap Matapan. J'ai malgré tout assez bien reposé.


    votre commentaire
  • 30.— Ce matin à mon lever la Regina Elena entre dans la rade de Plaka dans l'île de Milo. La vue est superbe non pas que le pays soit beau, ce ne sont que des rochers, mais il y a un tel assemblage de couleurs que l'on reste tout rêveur à contempler ce paysage dont l'idée n'avait été jusqu'ici évoqué, pour la plupart d'entre nous, que par des lectures ou des cartes postales. Bien que loin de la côte, j'ai essayé de fixer sur quelques pellicules un coin de cette rade où nous allons nous ancrer pour quelques heures car nous sommes paraît)il en avance sur l'horaire prévu. Il fait délicieusement bon regarder cette rade où sont mouillés un certain nombre de navires de guerre alliés et deux sous-marins grecs peints en vert, le Δ et le φ.

    A 16 heures la Regina Elena reprend sa marche vers le nord dans la direction de l'île Eubée par le canal de Oro. La mer est calme, pas un souffle de brise, on dirait que nous glissons à la surface d'un lac, cela change d'avant-hier. De nombreuses îles que l'on voit ont un aspect féérique car elles sont au premier plan d'un coucher de soleil merveilleux. Je reste sur le pont à contempler tout cela jusqu'à ce que la nuit le fasse disparaître à nos yeux.


    votre commentaire
  • 31 La nuit a été très bonne. La mer sans être mauvaise semble un peu plus agitée qu'hier au soir. Le temps lui aussi est maussage, il semblerait que Salonique veuille ne pas nous faire fête.

    Vers 13 heures la Regina Elena fait son entrée dans la rade de Salonique, le temps est brumeux tant et si bien que l'on ne peut juger du coup d'œil admirable paraît-il quand il fait un clair soleil. Le navire ancré on procède aux opérations du débarquement ; ce n'est qu'à 15h15 que nous prenons pied sur terre, heureux que le voyage se soit accompli dans d'aussi bonnes conditions.

    Ma première impression sur Salonique n'est pas bonne tant s'en faut. L'aspect de la ville est celui de toutes les villes d'Orient, maisons basses, serrées les unes contre les autres et au-dessus desquelles de nombreux minarets pointent vers le ciel. Les abords du port sont tout ce qu'il y a de plus infect tellement il y a de boue ; de ce mélange liquide se dégage une odeur nauséabonde.

    Aussitôt débarqué le groupe est parqué sur un emplacement exigu en attendant des instructions. Une nuée de marchands d'oranges, de tabac, s'abat sur nous troupiers mais tous ces mercantils ne tardent pas à disparaître à la vue de braves pandores. C'est que l'on a des doutes sur tous ces marchands grecs à l'affût de renseignements dont ils pourront retirer quelques profits, aussi un certain nombre d'éventaires vont-ils rejoindre les immondices du ruisseau pendant qu'un nerf de bœuf s'abat sur les épaules du propriétaire. Ce petit incident terminé les ordres arrivent. Nous devons nous rendre au camp de Zeitenlick distant de 5 ou 6 kilomètres et cela par des rues et des chemins où la boue monte jusqu'aux chevilles. Péniblement nous arrivons sur un terrain non moins boueux où quelques tas de fumier et d'ordures rappellent le passage d'une autre troupe. C'est là que nous devons monter nos tentes et passer la nuit sous la pluie, l'estomac à peu près vide, auprès du détachement embarqué sur l'Amiral Charner et arrivé la veille. Les esprits se reportent alors à l'intérieur des basses cagnas du front français et c'est en pensant à ceux qui dorment dans de beaux lits que nous aussi, nous étendons sur une mauvaise natte, fermons les yeux jusqu'à ce que le froid vienne sonner le réveil.


    votre commentaire
  • Février.— 1er.— Il fait à peine jour lorsque je sors de la tente, mais tout le monde est debout et bat la semelle. Un groupe d'artillerie arrivé depuis quelques jours quitte ce camp, nous prenons sa place et nous y installons dans les meilleurs conditions possibles car il pleut et il fait froid.


    votre commentaire